Le jour se levait peu à peu. Les rares rayons de soleil réussissant à percer l’amas de nuage frappèrent les bâtiments, et la ville se mit en marche. Les volets s’ouvrirent, les passants commencèrent à descendre la rue. Un début de journée presque normal à Saïlh, ville au quotidien agité. Mais ce matin-là, tout le monde avait l’air plus pressé que d’habitude. Les pas étaient plus rapides, les actes plus précipités. Ce qui était d’ordinaire fignolé pendant des heures était expédié en quelques minutes, et tout cet affairement n’était dû qu’à l’annonce d’une et unique nouvelle : Il allait pleuvoir.
Lorsque l’on s’imagine une ville située dans le désert, on pense toujours à une contrée aride où il fait une chaleur écrasante. A vrai dire, ce n’est pas injustifié : Saïlh, par exemple, n’est que très rarement exposée aux précipitations. Et pour une ville comme elle, où le commerce est fluctuant et où tout n’est qu’une question de secondes, un seul petit changement peut suffire à tout bouleverser. Mais il y avait bien une chose dont la météo n’altérait pas les habitudes : la guilde de Frozen Anarchy.
Ainsi, au milieu de la foule surexcitée se distinguaient les quelques membres de Frozen Anarchy, qui marchaient tranquillement, sans se soucier de rien. Ils se dirigeaient juste vers leur guilde, comme d’habitude. Ils marchaient, ils rencontraient leurs compagnons, ils poussaient les portes du bâtiment. Comme d’habitude. Et comme d’habitude, elle était là, assise dans un recoin sombre, et elle attendait. Elle fixait d’un air impassible ceux qui passaient entraient, sans dire aucun mot.
La voir ainsi était presque devenue une habitude de la guilde, seuls les quelques nouveaux restaient intrigués par cette présence étrange. Malgré cela, personne ne prêtait plus attention que ça à cette jeune fille qui semblait toujours attendre. Personne ne prêtait plus attention que ça à son regard mélancolique, personne ne prêtait plus attention que ça à sa souffrance. La vie se déroulait devant elle, sans qu’elle puisse y prendre part. Elle était une spectatrice impuissante, et toutes ses possibilités se résumaient en un seul mot : voir. Voir les horreurs du monde, voir le bonheur, voir la tristesse, voir l’amour, voir la haine.
Voir la vie.
Tout cela ne pouvait pas avoir de porte de sortie, après être passé devant ses yeux. Ainsi, un gouffre béant où tout s’entassait s’était créé en elle, résultant à une mixture atroce. Et enfin, une chose de plus lui était devenue possible : souffrir de ce mélange sulfureux.
Yin n’était pas en vie.
Comme tous les matins, Yin se leva et disparut dans une salle reculée de la guilde, où presque personne n’était jamais pénétré. Après cela, il s’écoulait souvent plusieurs heures avant qu’elle n’en ressorte. Ce fut donc avec surprise que l’on vit la jeune fille revenir dans les couloirs seulement une dizaine de minutes après s’être engouffrée dans la pièce.
Yin marchait d’un pas lent, et semblait, comme à son habitude, errer sans but. Mais tous le savaient : si Yin faisait ce qu’elle faisait, c’est que forcément elle avait une tâche à accomplir, par conséquent un but. Souvent, les gens s’amusaient à essayer de deviner ce dernier et à parier dessus. Cette fois ne faisait pas exception, et les propositions fusaient… Une nouvelle mission ? Un objet à récupérer ? Une information à demander ? Un membre à réprimander ?
Finalement, la réponse apparut lorsque Yin quitta la guilde pour aller rendre visite au passeur de Frozen Anarchy. Le passeur attitré, qui acceptait d’en téléporter les membres à tout jour, à toute heure, par tout temps, par tout, partout. La jeune fille, elle, ne sollicitait ses services que très rarement. Aussi était-elle l’une des seule que le passeur ne connaissait que très peu, et ce malgré ses nombreuses tentatives de discussion.
« C’rare de t’voir ici. Alors ma belle, c’pour où cette fois ? »
Et comme d’habitude, Yin se contenta de sortir une carte de sa poche, et de désigner sa destination du jour.
« T’vas commettre un génocide ? Fais attention à toi. »
Puis il se téléporta avec elle. Yin lui remit les quelques pièces qu’elle lui devait, et partit. Sans un mot. Mais il l’aimait bien, cette petite.
Sa capuche sur la tête, le corps entier couvert d’une toile épaisse et avec pour seule partie de son corps à l’air ses yeux, Yin passait totalement inaperçu. À Begaldr, nombreux étaient les gens ayant quelque chose à fuir, quelque chose de quoi se cacher. Ainsi, malgré son accoutrement, Yin n’existait plus aux yeux des autres. Ou peut-être pour quelques rares lycans de qui elle prenait le risque de s’approcher…
Quelques minutes plus tard, Yin s’engouffra dans une ruelle. Sa frêle silhouette disparut dans les ténèbres de la ville, où le soleil semblait inexistant. Elle s’adossa à un mur, enleva sa capuche.
Là, dans l’obscurité, ses yeux brillaient d’un éclat améthyste. Améthyste, prêt à virer au rubis…